"Monsieur" Stage prison - jour 1

« Monsieur »

On ne se rend pas compte à quel point ce mot n’est pas anodin. Pour le commun des mortels, c’est la marque basique de l’anonymat « Vous êtes Monsieur  … ? », pour les personnes détenues c’est la frontière entre le dedans et le dehors.

Quand notre formateur, à l’Ecole où l’herbe y est belle et bien tondue, nous a préparé à notre immersion en milieu carcéral, il nous a précisé un point dont je n’avais pas saisi toute l’importance sur l’instant.

« Moi, je n’appelle jamais un détenu « Monsieur », n’y voyez aucune marque d’irrespect, mais « Monsieur », je le réserve aux collègues ».

Ah.

J’ai tiqué, sans plus. J’ai froncé les sourcils et me suis résigné « bon ben si c’est comme ça qu’on fait hein ».
Puis je l’ai vu en vrai.

Je n’avais même pas encore passé mon uniforme, j’attendais devant la Porte d’entrée principale qu’on veuille bien nous laisser entrer, quand il est arrivé. Il était en colère, il venait d’en sortir, 7 ans qu’ils l’avaient
« enfermé et au bout de sept ans on en sort pas indemne, je vous jure, ça vous casse, faut pas croire, ça fait pas du bien, on peut pas faire autrement que de sortir avec la rage contre la société ».

Il voulait récupérer son pécule (de libération sûrement). Il n’était vraiment pas content, après 7 ans de devoir revenir à la prison demander son bien. Alors au bout de 7 ans, il sait bien comment ça marche la prison, il sait bien qu’on va lui demander une pièce d’identité, mais tant qu’on ne la lui demande pas explicitement et poliment il fait mine de ne pas comprendre – tout en montrant ostensiblement qu’il a compris.

C’est quand l’interphone se déclenche à nouveau et qu’on entend : «Les stagiaires vous pouvez rentrer et  C’est bon X, le greffe est prévenu, on va arranger ça » qu’il s’énerve.

Il ré-appuie sur le bouton et crie :

Quand mon formateur me dit qu’il ne faut pas voir dans ses propos, dans ses habitudes, une marque d’irrespect, je le crois sans réserves. Il suffit de l’écouter parler pour voir qu’il aime son métier, qu’il est réglo, qu’il le fait sûrement très bien et avec passion de surcroit.  

Je crois qu’il perpétue une vieille tradition. L’histoire et le fonctionnement d’une prison dépasse parfois ses acteurs et si autrefois on voulait nier une partie de l’humanité des personnes dont on avait la garde, ce n’est plus le cas aujourd’hui mais certains gestes, certaines paroles restent. D’ailleurs, je pense également que le surveillant à la PEP n’a pas pensé à mal en omettant le titre, il l’a simplement fait par habitude.

Ce premier jour aura gravé un « Monsieur » indélébile et, sûrement invisible, devant le nom de toutes les personnes détenues que j’aurais à rencontrer.

Baggout a écrit:

« Moi, je n’appelle jamais un détenu « Monsieur », n’y voyez aucune marque d’irrespect, mais « Monsieur », je le réserve aux collègues ».

Ben il fait comme il veut, mais il ne faut certainement pas croire que c'est  ce qu'il faut faire . Je ne sais sans doute pas qu'elle est la bonne posture à adopter (je ne suis pas formatrice à l'ENAP , je n'ai que quelques années de terrain en MF et en MO) mais j'ai côtoyé un peu des collègues ( surveillants et CPIP) ,certains disent monsieur ( ou madame) d'autres disent X , d'autres encore autre chose:je constate qu'il y en a avec qui les PPSMJ  ont un comportement plus respectueux qu'avec d'autres , étrange non ?

Très joli témoignage! Vivez à fond cette expérience et tâchez de ne pas l'oublier quand, dans quelques mois/années, vous aurez envie de tirer très fort les cheveux du collègue surveillant qui ne vous ouvre pas la grille/n'a pas appelé le gars/ a fait venir le mauvais gars...

Ca m'a rappelé la petite prise de bec avec la (jeune) chef det qui m'avait regardée, honnêtement surprise, comme si c'était ahurissant :"tu les appelles 'Monsieur' ? En leur présence ?" "Ben les appeler 'Madame', ça risque de créer des tensions, non ?". Nan mais, tu vas m'apprendre mon métier.

Bref, Monsieur Machin, c'est indispensable de la part d'un CPIP. Je pense. Sauf si c'est une dame, bien sûr. Mais gérer 100 détenus à un étage sans qu'ils se rendent compte que t'es tout seul et eux sont 100 et que du coup s'ils veulent, ben ils te retournent la taule, ça passe plus facilement par le tutoiement et l'absence de 'Monsieur'. Deux métiers différents quand même hein, avec deux finalités difficilement conciliables : qu'il se tienne bien dedans comme un enfant obéissant et qu'il se tienne bien dehors comme un adulte autonome et responsable.

Em'

Dans le bain direct dès la porte d'entrée! Profitez bien de ce stage et des autres qui vous permettront d'avoir votre positionnement pro.

Bonsoir,

De mon côté, en stage découverte spip Mf...et donc en observation d entretiens ce matin, j'ai entendu "ma" cpip les appeler Monsieur X, Y, etc...
Il semble bien y avoir un décalage entre ce que vivent les collègues en stage surveillant et nous. En effet, j'ai entendu d'autres retours qui vont dans le sens de Baggout.

Pour faire part de ma vraie première journée, c'était assez épuisant de vivre le flot d'informations, mais également l'enchaînement d entretiens. Je l'accorde à la première journée. On verra par la suite.
Je tiens juste à signaler que j'ai la chance d'avoir deux tutrices très investies dans ma formation et je compte bien être à la hauteur de leur investissement et tirer tous (ou presque) les bénéfices de ce premier stage.

En fait vous faites vos stages en décalé ??

Yay ! On est 360 quand même, alors du coup les groupes 1 à 8 font leur stage de découverte en milieu carcéral pendant que les 9 à 16 font leur stage de découverte SPIP, on rentre 3 semaines à l'Ecole avant d'échanger. En revanche, pour les stages de mise en situation on est tous dans le même bain

Baggout a écrit:

Yay ! On est 360 quand même, alors du coup les groupes 1 à 8 font leur stage de découverte en milieu carcéral pendant que les 9 à 16 font leur stage de découverte SPIP, on rentre 3 semaines à l'Ecole avant d'échanger. En revanche, pour les stages de mise en situation on est tous dans le même bain

Ouais , et c'est bien là que ça va poser soucis : parce que faire de la découverte à 4 ou 5  sur des services de 5 ou 8 titulaires , ça peut passer , faire de la mise en situation à 4 ou 5 ça risque d'être un peu chaud pour tout le monde ( en même temps ça nous permet de comprendre un peu à quel point les lieux de préaffectation vivent dans le bonheur)

Dans mon SPIP il y a environ 50 CPIP pour 3 élèves, et d'ailleurs dans "le monde" ils ont évoqué une promo de 480, bien loin des 360 que tu évoques Baggout :/

mylene a écrit:

( en même temps ça nous permet de comprendre un peu à quel point les lieux de préaffectation vivent dans le bonheur)

Avec le facteur supplémentaire que dans les lieux de préaff ce sont souvent de jeunes professionnels en sous effectif qui ont par définition moins d'expérience à partager que des personnes qui sont CIP depuis des lustres (et je ne dis pas ça pour toi Mylène )

illusi0n a écrit:

Dans mon SPIP il y a environ 50 CPIP pour 3 élèves, et d'ailleurs dans "le monde" ils ont évoqué une promo de 480, bien loin des 360 que tu évoques Baggout :/

oui oui je me suis fait la remarque en lisant l'article ils ne sont pas trop a jour dans "le monde"!!!